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de Manuel Benguigui, Mercure de France, 2017
Pendant la deuxième guerre mondiale, Ludwig, officier de l'armée allemande est en poste à Paris dans un service dévolu à la confiscation des œuvres d'art où il excelle. Protégé par Goering, lui-même collectionneur compulsif, il attise les jalousies...
Mais Ludwig ne déroge pas à sa mission, mû par une exigence et une intransigeance esthétique qui l'éloigne de plus en plus du monde des hommes.
Pourtant, le jour où il croise Lucette, quelque chose en lui vacille.
Un court roman qui laisse une étrange impression, mais comme cela semble être le but de l'auteur, c'est très réussi.
Tout est vu à travers les yeux de Ludwig : le Paris occupé, l'organisation du pillage des œuvre d'art, Goering...Or Ludwig est un étrange personnage qui nous laisse totalement perplexes, il ne s'intéresse à rien d'autre qu'aux oeuvres d'art, il ne cherche que le plaisir de contempler ces merveilles.
Aucun humain, n'est digne d'un quelconque intérêt à ses yeux, pas même les artistes, seules leurs œuvres comptent !
Ludwig traverse donc l'Histoire de l'humanité avec un détachement qui est tour à tour comique et effroyable.
Une seule rencontre le rapprochera de l'humain, Lucette qui semble tout droit sorti d'un tableau de maître.
Malgré tout, Ludwig reste un personnage hors du temps et hors du monde.
“Un collectionneur allemand” très bien écrit est un livre atypique.
de François Roux, Albin Michel 2017
Dans les années 1990, Justine, 25 ans rêve une grande histoire. Elle tombe éperdument amoureuse d'Alex depuis leur nuit passée ensemble. Mais 20 ans plus tard, c'est avec son frère Nicolas qu'on la retrouve mariée et mère de deux enfants.
Elle vit un bonheur tranquille et sans histoire, jusqu'au jour où Nicolas est licencié et plonge irrémédiablement.
François Roux ne m'avait pas totalement convaincu avec “Le bonheur national brut” fresque des années Mitterrand et c'est encore le cas cette fois-ci ! Ce livre se laisse lire mais on n'est pas emporté, ni par l'histoire, ni par les personnages. Pourtant on devrait ! Les ingrédients pour me plaire étaient censés être réunis. Ce livre est décrit comme une “chronique de notre époque minée par le chômage et les compromis idéologiques”
Certains aspects sont bien vues, notamment en ce qui concerne l'évolution des rapports sociaux de Nicolas, après la perte de son emploi, la lente évolution de son emploi du temps.
Cependant, tous ces personnages qui expliquent les mauvais choix de leur vie par leurs “traumatismes d'enfance”, ça finit par profondément agacer et par annuler toute empathie.
Au point que j'en suis presque arrivée à être totalement indifférente au sort de ce trio amoureux exaspérant.
Les deux seuls personnages qui ont un quelconque intérêt, sont l'horrible et tyrannique grand-père Joseph qui vire de l'extrême gauche à l'extrême droite et Adèle la petite fille qui a les yeux bien ouverts sur les dérives de notre société individualiste.
de Jean-Christophe Rufin, Gallimard 2017
Comment un jeune noble né en Europe centrale, contemporain de Voltaire et de Casanova va se retrouver en Sibérie puis en Chine pour devenir finalement roi de Madagascar...
À partir de la biographie de Auguste Benjowski, voyageur célèbre du 18e siècle, Jean-Christophe Rufin construit un grand roman d'aventure mais aussi d'idées.
Il imagine la rencontre entre Benjamin Franklin, vieillissant et Auguste accompagné de sa femme Aphanasie. Benjamin Franklin, célèbre pour sa contribution à la rédaction de la Constitution des jeunes États-Unis, va écouter à tour de rôle ce drôle de couple dont le parcours l'intrigue et le tient en haleine. Ce n'est qu'après plusieurs jours que nous apprendrons le but de leur visite.
Auguste est né en Hongrie, a rencontré sa femme en Sibérie, a parcouru les mers et les terres australes avant d'être nommé roi de Madagascar.
C'est peu dire qu'au 18e siècle, de tels voyages sont épiques !
Bien sûr, au-delà de la simple découverte des mœurs d'ailleurs, il est question d'une réflexion politique et idéologique. Les luttes d'influence pour le pouvoir, la contrainte qui pèse sur les peuples... toutes ces questions sont au cœur des aventures deux héros, lecteurs de Diderot.
Jusqu'à présent, j'ai toujours beaucoup aimé les livres de Jean-Christophe Rufin. c'est le premier qui ne m'emballe pas totalement. Comme d'habitude, c'est vraiment très bien écrit et très bien documenté mais peut-être que la succession des trahisons, complots, batailles... est trop répétitive et finit par lasser un peu.
Cela reste tout de même un ouvrage à lire avec plaisir et intérêt !
de Graham Swift, Gallimard, 2017
Angleterre, 30 mars 1924. Comme chaque année, les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour aller rendre visite à leur mère. Jane, la jeune femme de chambre des Niven, est orpheline et se trouve donc désœuvrée. Va-t-elle passer la journée à lire ? Va-t-elle parcourir la campagne à bicyclette ?
Un court roman très réussi grâce à une histoire et une écriture pleines de finesse. Jane se souvient de ce jour où sa vie a basculé et nous en livre les moindres détails, elle nous fait respirer toute une époque.
Les fils de la famille sont morts durant la Première Guerre mondiale, faisant planer une tristesse diffuse sur les grandes familles aristocratiques.
Les trains de vie changent, le personnel se réduit et les rapports de classes sont à l'aube de leur transformation.
Les voitures à moteur commencent à remplacer les chevaux.
C'est une époque de changement mais pour Jane, c'est cette journée du 30 mars 1924 qui va marquer à tout jamais sa vie.
Car, si les choses changent, les évolutions sont lentes. Alors que Jane s'interroge sur comment occuper sa journée, Paul Sheringham un jeune homme de bonne famille et son amant de longue date, lui propose de le retrouver dans sa demeure désertée.
Jane, domestique, n'est pas en position de lui demander de rester près d'elle et ne peut que goûter ce dernier moment de plaisir puisque Paul doit épouser une riche héritière.
Une belle écriture pour un roman intense et loin de toute mièvrerie !
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de Viviane Gornich, collection Rivages, 2017 pour la traduction française.
Une mère, une fille. Elles s'aiment profondément, se haïssent éperdument. Impossible de vivre ensemble, impossible de se séparer pourtant. De ce lien unique, Viviane Gornich tire un texte bouleversant.
Sorti en 1987 aux États-Unis, ce livre, salué par la presse et le public, aura attendu 30 ans pour être traduit en français.
Née en 1935 dans le Bronx, Viviane Gornich est journaliste,, figure féministe et critique littéraire respectée. Elle nous offre un récit autobiographique qui dépasse le simple exercice du récit intime.
Bien sûr, au premier plan, il y a les relations complexes de l'auteur avec sa mère.
Mais il y a aussi un voyage dans le temps et l'espace New Yorkais.
Les années 1940, le Bronx avec ses classes populaires qui se partagent l'espace : les juifs, les Italiens, les Russes...
Les années 1980 dans les rues de Manhattan, car c'est en arpentant ces rues que Viviane Gornich et sa mère égrènent leurs souvenirs. Si ils sont intimes, les personnes qui les entourent, leurs amours, leus rêves, leurs déceptions…. en disent long sur la vie d'une manière plus générale.
L'auteur brosse plusieurs portraits de femmes. Que ce soit pour elle-même ou pour celles qu'elle observe, son écriture plein de tendresse reste sans complaisance.
Si sur la fin, le récit se fait un peu trop psychologisant à mon goût, ce livre est un bon récit de vie et un bel hommage aux femmes en général.
de Dominique Bona, Grasset, 2017
Août 1914. Il n'y a plus d'homme à Paris. Les femmes s'organisent. Dans une jolie maison, à l'orée du bois de Boulogne, Colette la romancière, la journaliste célèbre, fait venir ses amies les plus proches. Il y a Marguerite Moreno, la comédienne, Annie De Pène, la chroniqueuse, et “presque sœur”, Musidora dite Musi, bientôt la première vamp du cinéma.
Un remarquable travail !
Dominique Bona nous offre un texte ciselé, pour ces quatre beaux portraits de femmes atypiques pour leur époque. Cette belle écriture est enrichie d'un travail de documentation, que j'imagine considérable. Parfois, c'est même un peu trop. À mon grand regret, ma culture artistique du début du 19e siècle ne dépasse guère les noms qui ont traversé les années, jusqu'à aujourd'hui. Du coup, l'évocation des noms d'artistes de music-hall, du théâtre ou même du cinématographe m'a plutôt fait l'effet d'une liste fastidieuse et par trop érudite.
Malgré cela, le charme et l'intérêt général de cet ouvrage n'est pas amoindri.
Intérêt pour l'époque, d'un point de vue historique. L'auteure nous invite à découvrir Paris, déserté par ses hommes, puis peuplé par des femmes en noir.
On est sous le charme de ces quatre femmes qui, “cheveux courts et sans corset”, poursuivent un idéal de liberté sans concession.
Elles sont à l'avant-garde de la modernité et leurs destins très peu conventionnels sont passionnants.
On suit donc chacune avec plaisir, dans leur domaine : écriture, scène, ainsi que leurs projets artistiques, leurs échecs, leurs amours...
de Catherine Grive, Jean-Claude Lattès, 2017
Sur le pont du paquebot, des dizaines de femmes jacassent comme à une fête de charité. En 1930, elles traversent l'Atlantique pour aller se recueillir sur la tombe de leur fils ou de leur mari, soldats américains morts pendant la Première Guerre mondiale. Elles viennent de tous les coins d'Amérique.
Ce premier roman est une belle réussite. Différents aspects sont abordés de manière subtile et intelligente. Il y a d'abord la narration de cette étrange traversée à bord de l'America. Toutes ces femmes ont pour point commun d'avoir perdu un mari ou un fils. Pour le reste, elles sont toutes très différentes, elles viennent de tous les coins d'Amérique, elles sont de conditions sociales différentes et leurs histoires personnelles ne se ressemblent pas.
Vient ensuite la réflexion sur le deuil et le souvenir. Comment surmonter la perte d'un enfant, comment faire, alors même qu'on ne veut pas oublier ?
Tout ceci nous est conté à travers le regard de Catherine Troake qui a perdu son fils dans les premiers jours du conflit, il avait 18 ans. C'est son histoire que l'on découvre petit à petit au fil de la traversée.
Cette héroïne, dans le sens littéraire, peut nous émouvoir par sa tristesse mais n'est pas attachante pour un sou.
Elle nous renvoie qu'aimer mal, peut être aussi destructeur que de ne pas aimer du tout !
Loin de tout mièvrerie, j'aurais souhaité un livre un tout petit peu plus long tant il est bien écrit et pose question.
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de Juliette Kahane, Éditions de l'Olivier, 2017
Lorsqu'elle pénètre dans ce lycée où s'entassent des centaines de réfugiés, Hannah s'interroge. Qu'espère-t-elle trouver en rejoignant toutes celles et tous ceux qui sont venus les aider ?
“Jours d'exil” reflète les élans et les contradictions de son personnage central.
Le lecteur comprend, dès les premières pages, que les interrogations d'Hannah sont celles de la société en général.
Certes, son regard est particulier, elle traverse ce lycée désaffecté, occupé par plus de 1000 migrants sans vraiment trouver sa place parmi les différents groupes de bénévoles.
Juliette Kahane décrit sans complaisance et avec ironie les bénévoles naïfs, les partisans de l'autogestion, opposés à ceux qui aspirent à une organisation, au contraire rigoureuse, les organisateurs de la dissidence...
Tout le monde y passe, chacun tente de convaincre que sa vision des choses est la meilleure, chacun est finalement présent pour des raisons plus personnelles...
La société cosmopolite que composent les réfugiés, n'est pas en reste. Les haines de clans se réveillent, des bagarres éclatent, sans parler des bandes qui viennent voler les produits issus des dons pour les revendre à l'extérieur.
Juliette Kahane semble s'être définie une ligne de conduite pour l'écriture des portraits de tout ceux qu'elle rencontre : la franchise et aucun des personnages n'y échappe.
Un livre totalement ancré dans l'actualité.
de Didier Castino, Liana Levi, 2017
Hervé ne peut oublier l'année 1986. À Aix où il vit, mais aussi à Paris et dans toute la France, les étudiants refusent le projet Devaquet sur la réforme des universités. Mais c'est aussi et surtout la mort de Malik Oussekine, sous les coups de la police, au 20 Rue Monsieur-le-Prince.
Ce roman est multiple, à la fois sur le sentiment personnel et sur la politique au sens large. À travers Hervé, on retrouve la jeunesse dans son ensemble, ses emportements, son désir effréné de laisser une marque sur son temps. Chaque génération à son lot de récriminations vis-à-vis de la précédente et finit toujours par lui reprocher de ne pas être aller au bout des choses.
Les descriptions sont d'une grande justesse : la découverte de la mobilisation, l'exaltation et le sentiment de communion qui peut naître dans les grandes manifestations.
D'un point de vue politique, Didier Castino fait un rapprochement entre le meurtre de Malik Oussekine et la future ascension de l'extrême droite.
Si ce roman interroge sur l'engagement, le renoncement, le racisme, la force du politique … c'est aussi sans conteste un magnifique hommage à ce jeune homme dont la mort totalement injuste et révoltante a marqué toute une génération.
Les pages qui décrivent la dernière course de Malik Oussekine pour échapper au voltigeur sont magistralement écrites. Je n'ai pas de mots pour exprimer l'effet produit sur le lecteur !
Didier Castino a une capacité à raconter les choses “de l'Intérieur” assez extraordinaire ! Si j'ai beaucoup aimé ce livre, ma préférence reste malgré tout pour “Après le silence”, son précédent ouvrage (voir dans la rubrique “Mes autres livres”)

de Joël Haroche, Grasset, 2017
Début des années 60, les Rosenblatt ont posé leurs valises au Texas.
Juifs, au milieu de la plus importante population évangélique du pays, russes d'origine à une époque où l'on se prépare à vitrifier les “ruskoffs” gauchistes, 10 ans après que les époux Rosenberg ont grillé sur la chaise, l'intégration ne va pas aller de soi.
Un roman irrésistible de drôlerie !
Élias, une dizaine d'années est le narrateur de ce récit à la fois loufoque et sérieux.
Loufoque parce que la famille Rosenblatt est bien déjantée. Sérieux car ce roman témoigne du climat particulier qui règne au Texas en 1963. D'ailleurs la petite histoire finira par rencontrer la grande...
Julius, le père de famille est un avocat raté, l'avocat des pauvres mexicains du coin. Ses journées commencent fort tard ce qui n'arrange pas ses affaires.
Sa femme, Rose, dont les yeux verts sont “couleur de raisin épluché” rêve d'intégration mais voit ses tentatives échouer. Il faut dire que le manque d'argent n'arrange pas les choses. Quand son fils est invité à un anniversaire, dans une maison digne de celle de Scarlett O'Hara dans “Autant en emporte le vent” et qu'en cadeau, on a seulement un taille-crayon à 2 dollars... ça fait mauvais genre !
Le fils cadet, Nathan, est un génie de 8 ans mais souffre de troubles qui lui font dire des obscénités au moment les plus incongrus.
Et que dire du grand-père qui a passé sa vie à chercher sa femme à travers toute l'Amérique. La belle, ex stripteaseuse, l'a rapidement abandonné pour courir les routes et présenter des shows de rodéos.
C'est tout ce petit monde de paumés que Joël Haroche nous conte avec tendresse car ce sont aussi les humiliés de l'Amérique profonde des années 1960.
Un livre à lire !